« Qalqalah : penser l’histoire » est le deuxième atelier organisé par Qalqalah قلقلة. L’atelier, co-animé par l’artiste, chercheuse et dramaturge Aline Benecke, prend pour point de départ une nouvelle de fiction de la curatrice et chercheuse Sarah Rifky : son personnage principal, Qalqalah, linguiste vivant en 2048, s’interroge sur les possibles manières de raconter l’histoire dans un aller-retour incessant entre les langues, les modes de narration et les temporalités.

L’atelier — auquel participent étudiant·e·s et artistes associé·e·s aux écoles supérieures d’art de Montpellier, Nîmes et Toulouse et au Master exerce d’ICI–CCN de Montpellier — forme une étape dans la réflexion publique initiée par Virginie Bobin et Victorine Grataloup pour penser collectivement les formes et les enjeux de Qalqalah قلقلة.

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L’atelier s’est notamment déployé notamment autour de la construction d’une maquette imaginée par Aline Benecke à partir d’une photographie de la première « maison » de sa famille en France — en réalité un camps d’internement pour réfugié·e·s algérien·ne·s — à la fois dispositif de recherche, d’enquête, d’archivage, de production artistique et de performance. À partir de cette maquette, d’images documentaires et de textes partagés, ainsi que des propres récits, matériaux de recherche et expériences des participant·e·s, nous avons expérimenté de possibles pratiques de co-fabulation critique de l’histoire s’appuyant sur le toucher et la reconstitution.

L’atelier proposait ainsi de s’exercer, comme Qalqalah, à « reformuler nos pensées », d’une langue à l’autre, d’une position à l’autre, afin d’embrasser les possibilités spéculatives de l’histoire, de la poésie, de la performance et d’autres formes de récits (narratives, « post-narratives », visuelles, matérielles, sonores…). La maquette produite a servi de support à une performance publique d’Aline Benecke, dans le prolongement de l’atelier.

Avec la participation de Nina Berclaz, Jennifer Conejero, Anaïs Hay, Vir Andres Hera, Daniel Lühmann, Michel Martin, Renata Pires et Marilina Prigent.


Bibliographie de l’atelier, proposée par Aline Benecke

Eve Tuck and Marcia McKenzie. Relational Validity and the “Where” of Inquiry: Place and Land in Qualitative Research. Qualitative Inquiry. 2015, Vol. 21
Ce texte propose une perspective critique de la notion de « place » (endroit), qui prend en compte les usages, les pratiques, les appréhensions et les attachements de différentes communautés, en les réintégrant dans des rapports coloniaux et postcoloniaux. Il ne décrit pas forcément un endroit lié à une architecture ou à une géographie spécifiques : un endroit peut-être incorporé, emmené avec soi ou (re)créé. L’extrait choisi propose différentes manières de reconsidérer la notion d’endroit, depuis une approche critique de la recherche (que nous étendons à la recherche artistique).

Saunders, Patricia J. “Fugitive Dreams of Diaspora: Conversations with Saidiya Hartman,” Anthurium: A Caribbean Studies. Journal: Vol. 6 : 2008 Iss. 1 , Article 7.
Les recherches de la théoricienne et militante afro-féministe Saidiya Hartman interrogent la manière dont le travail autour des archives, notamment photographiques, risque de reproduire, en l’exposant, la violence exercée sur les corps noirs et racisés. Dans le court extrait choisi (p.14), elle aborde la question du foyer, et de la possibilité, pour des communautés diasporiques, de recréer un chez-soi (faisant écho à la notion d’endroit abordée plus haut).

Tuck, Eve and Yang, K.Wayne. 2014. “R-words: Refusing research.” In D. Paris & M. T. Winn, Humanizing research: Decolonizing qualitative inquiry with youth and communities, 223-248. Los Angeles, CA: Sage Publications.
Tuck et Yang critiquent la manière dont la recherche universitaire instrumentaliste l’histoire et la souffrance de communautés racisées, colonisées ou déplacées pour produire du savoir. Il propose de penser la question du refus (de témoigner, de poser des questions, ou de partager certains savoirs avec les institutions) comme manière possible de lutter contre cette forme de violence. Comme les auteur·e·s le rappellent dans le petit mémo offert à la fin du texte, le refus n’est pas forcément un acte négatif, mais ouvre la possibilité de créer d’autres relations aux personnes, aux communautés, aux endroits et aux savoirs. La notion de refus rappelle aussi le refus de Qalqalah de raconter son histoire dans la nouvelle de Sarah Rifky qui donne son titre à l’atelier.