Lawrence Abu Hamdan
Sophia Al Maria
Mounira Al Solh
Noureddine Ezarraf
Fehras Publishing Practices
Benoît Grimalt
Wiame Haddad
Vir Andres Hera
institute for incongruous translation
(Natascha Sadr Haghighian et Ashkan Sepahvand)
avec Can Altay
Serena Lee
Scriptings#47 : Man schenkt keinen Hund
Ceel Mogami de Haas
Sara O’Haddou
Temporary Art Platform (Works on Paper)
Intervention graphique :
Montasser Drissi
Commissaires invitées :
Virginie Bobin et Victorine Grataloup
Le nom de Qalqalah قلقلة nous vient de deux nouvelles de la commissaire d’exposition et chercheuse égyptienne Sarah Rifky. L’héroïne éponyme de ces fictions, Qalqalah, est artiste et linguiste et habite un futur proche recomposé par la crise financière et les révoltes populaires des années 2010. Ses méditations poétiques autour des langues, de la traduction et de leur pouvoir critique et imaginant ont accompagné nos réflexions, et ne nous ont plus quittées depuis. Qalqalah قلقلة est ainsi devenue une plateforme de recherche artistique en ligne, entre trois langues et deux alphabets – arabe, français et anglais, voici qu’elle prend la forme d’une exposition.
Le titre Qalqalah قلقلة : plus d’une langue orchestre la rencontre entre notre héroïne et une citation de Jacques Derrida. Dans Le monolinguisme de l’autre, le philosophe, né en 1930 en Algérie, raconte sa relation ambigüe à la langue française, prise dans les rets de l’histoire militaire et coloniale. Le livre s’ouvre sur une affirmation paradoxale : « je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne », contredisant toute définition propriétaire, figée ou univoque de la langue – qu’il s’agisse de français (comme l’exprime joliment la chercheuse Myriam Suchet, lorsqu’on met un « s » à français, il faut l’entendre comme un pluriel), d’arabe (enseigné comme « langue étrangère » dans l’Algérie coloniale et aujourd’hui deuxième langue parlée sur le territoire français dans ses déclinaisons dialectales) ou d’anglais (langue globalisée et dominante dans l’art contemporain).
Ces trois langues se retrouvent dans l’exposition, chacune porteuse d’enjeux politiques, historiques et poétiques qui s’entrecroisent et se répondent. L’exposition est ainsi traversée de signes et de voix, rappelant que les langues sont inséparables des corps qui parlent et écoutent – tout·e locuteur·trice « s’exprimant également par le regard et les traits du visage (oui, la langue a un visage) », pour reprendre les mots de l’écrivain et chercheur marocain Abdelfattah Kilito.
Les œuvres se font l’écho de langues multiples, hybrides, acquises au hasard de migrations familiales, d’exils personnels ou de rencontres déracinées. Langues maternelles, secondaires, adoptives, migrantes, perdues, imposées, vulgaires, mineures, inventées, piratées, contaminées… Comment (se) parle-t-on en plus d’une langue, en plus d’un alphabet ? Comment écoute-t-on, depuis l’endroit et la langue dans lesquels on se trouve ? L’exposition propose ainsi, en filigrane, d’interroger le regard que nous posons sur les œuvres en fonction des imaginaires politiques et sociaux qui nous façonnent.
La plupart des artistes invité·e·s placent d’ailleurs les modalités de publication, de circulation et de réception des œuvres au cœur de leur travail. Opérations de traduction, de translittération, de réécriture, d’archivage, de réédition, de publication, de montage, voire de moulage ou de karaoké, apparaissent comme autant de tentatives pour donner à voir et à entendre des histoires qui, parfois, se dérobent. Au-delà d’une approche linguistique, il s’agit bien d’ouvrir un espace où déployer des récits pluriels et des témoignages hétérogènes, en s’appuyant, en plus d’une langue, sur l’un des sens possibles du mot arabe قلقلة – « un mouvement du langage, une vibration phonétique, un rebond ou un écho ».